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// Add the new slick-theme.css if you want the default styling"Arnaud Soubeyran : l'histoire mouvementée d'une marque de nougat", par Amicie d'Arces
Apparemment, l’histoire de la marque de nougat ARNAUD-SOUBEYRAN, qui continue aujourd’hui, avec la même exigence de qualité, à porter haut et loin la réputation du « Nougat de Montélimar », n’a jamais été racontée. Si l’on excepte l’excellent ouvrage de Jean Durand, « Le Nougat de Montélimar », paru en 1993, bien des ombres demeurent sur l’histoire de l’une des plus anciennes fabriques de la célèbre friandise.
Elle naquit en 1837 d’une association et d’un mariage entre deux Drômois du pays de Bourdeaux : Mathieu Arnaud était confiseur, Marguerite Soubeyran avait de l’argent. Mariés, ils mirent au monde une kyrielle d’enfants en même temps qu’ils firent prospérer l’affaire, sise au 152 de la Grand-Rue. Les deux noms se fondirent rapidement l’un dans l’autre, inséparables d’une réussite sociale qui fit de Mathieu Arnaud un « membre de l’Académie nationale, conseiller municipal, conseiller presbytéral, trésorier de la caisse des pauvres, récompensé à l’exposition universelle de Paris 1867 » [1]
Parmi les enfants des époux Arnaud-Soubeyran, beaucoup moururent mais la lignée confiseuse se poursuivit, puisqu’en 1880, le nouveau propriétaire, M. Pinchard, était un gendre Arnaud. Elle paraît avoir été, au tournant du siècle, la plus importante fabrique de la ville, avec 50 000 kg annuels[2]. C’est alors que débuta la notoriété du « Nougat de Montélimar », portée par le maire de la ville, Emile Loubet, devenu président de la République en 1899, comme en témoignent les journaux et les dessins humoristiques de l’époque[3].
Il faut attendre les années 1920, tandis qu’elle était possédée par M. Mazade, toujours descendant des Arnaud, pour que la marque soit acquise par Paul James. Et transférée à proximité de la gare, rue Ducatez.
Paul James, pour des raisons familiales, ne conserva pas longtemps la fabrique. Il s’adjoignit rapidement Georges Martin qui en devint gérant en 1925 et finalement, en 1928, la vendit à Robert de Bretteville, associé avec M. Morand et avec Alfred Cru, ancien cuiseur de la fabrique de Loriol, le « Canard Sauvage ».
Nouveau départ pour Arnaud-Soubeyran. Et encore une fois grâce à l’association d’un savoir-faire et d’un capital. L’idée vint d’Alfred Cru, dont la réputation de nougatier n’était plus à faire mais qui ne s’entendait pas avec son patron Albert Serre. L’histoire raconte qu’il alla trouver Robert de Bretteville et lui proposa de monter ensemble une affaire de nougat en installant la fabrique dans l’ancienne magnanerie de « la Gardette ». Robert de Bretteville, jeune avocat à Marseille au début du siècle et maintenant propriétaire-exploitant des domaines dont il avait hérité à Loriol et Livron, possédait les capitaux mais aussi du bon sens. Et préféra racheter une marque qui avait déjà fait ses preuves. C’est ainsi que les deux hommes, si différents mais si complémentaires et d’une confiance absolue l’un dans l’autre, reprirent « Arnaud-Soubeyran ».
La marque connut alors un nouvel essor, sous la direction technique – et artistique – d’Alfred Cru dont les anciens ouvriers se souviennent encore, petit homme au sourire malicieux, trottinant d’un bout à l’autre des ateliers dans sa blouse blanche, l’œil vif du connaisseur penché sur les chaudrons de cuivre où blanchissait la pâte onctueuse. Toujours à l’affût de nouvelles recettes, sa plus belle réussite fut le fameux « pur miel », à base de véritable blanc d’œuf et d’une plus forte quantité de miel. C’était aussi un artiste, qui non seulement cuisait mais sculptait le nougat, en forme d’éléphant, de fer à cheval, de cocotte… Il avait aussi imaginé un grand missel en dominos de pur miel pour une communion solennelle en 1954 ou encore un « yacht » composé de 26 kg de dominos de nougat pour le mariage de Grace Kelly en 1956[1]. Son invention de l’œuf de Pâques en nougat est toujours plébiscitée aujourd’hui. Elle fut à l’origine d’une petite révolution financière et technique qui donna un élan de plus à l’affaire[2].
Un autre homme indispensable était venu se joindre à la nouvelle équipe : Georges Martin, l’ancien gérant de James, était maintenant actionnaire de l’affaire et directeur commercial mais aussi, selon un témoin oculaire, savait « réparer les scies, concevoir les machines à faire les œufs de Pâques, rédiger les PV des Assemblées Générales et du Conseil d’administration, pré-calculer les factures des clients sur des enveloppes du courrier du matin qu’il ouvrait en deux ».
La fabrique, comme c’est l’habitude, possédait, en plus de ses revendeurs en ville, une boutique à l’aménagement assez sommaire qui ouvrait sur la rue Ducatez. Là officiait Mlle Denise James, le seul membre de la famille James à être resté dans l’affaire, et qui ne laissait jamais repartir les enfants sans un paquet de nougats dans leur poche.
Arnaud-Soubeyran, considérée alors comme la marque du nougat de grande qualité, entretenait un important réseau de commerciaux qui visitaient les confiseurs et les épiceries fines dans toute la France et à l’étranger.
À la mort de Robert de Bretteville, en 1962, son fils André reprit la direction de l’affaire qui se situait toujours parmi les principales fabriques de nougat. Dans les années 1960 et 70, l’heure était à la modernisation et à la rationalisation de la production. Malgré de jolies trouvailles dans la présentation des boîtes de nougat comme l’effigie de l’Aiglon qui donnait au pur miel un surcroît d’élégance, les outils et les locaux de la vieille fabrique de la rue Ducatez paraissaient bien obsolètes pour lutter contre la concurrence. D’où la décision d’André de Bretteville de s’associer avec deux autres nougatiers pour développer l’affaire, encore artisanale, et en faire un véritable outil économique : ce fut la création d’Uni-Nougat, avec Le Rucher de Provence, de Marcel Tournillon et l’Ours qui Danse, de Jean Bel et Henri Verdelet.
L’affaire, conclue en 1974, se révéla rapidement un échec pour les raisons évoquées par Jean Durand dans son ouvrage. Le Groupement Uni-Nougat, dont l’usine avait été transférée dans des locaux modernes de Sauzet, cessa d’exister en 1977. Ce triste épisode laissa des traces cruelles dans la vie des protagonistes et la marque sombra, pensa-t-on définitivement.
C’était sans compter avec la passion d’un homme, natif de Montélimar, et dont ladite passion avait été contrariée par son père. Charles Brotte avait passé son enfance à Montélimar où son grand-père militaire, en garnison, avait épousé une Montilienne. Alors qu’il avait rêvé, enfant, devant les vitrines des nougatiers, de fabriquer un jour son propre nougat, la volonté paternelle l’avait dirigé vers le commerce du vin. Installé à Chateauneuf-du-Pape, il y avait créé en 1931 une cave d’embouteillage puis dans la foulée une maison de vins qui, aujourd’hui, continuée par son petit-fils Laurent Brotte, englobe 60 ha d’appellation et commercialise entre autres la fameuse « Fiole du Pape » dans le monde entier.
Les amis montiliens de Charles Brotte ne l’avaient pas oublié, notamment son camarade d’école Noël Marcel dans la maison duquel il avait vécu, rue Sainte-Croix. C’est ce dernier qui, en 1978, mit Charles Brotte au courant de la situation malencontreuse dans laquelle se retrouvait l’illustre et ancienne marque de nougat Arnaud-Soubeyran. Pour Brotte, c’était enfin l’occasion de réaliser son rêve d’enfant.
On ne s’étendra pas sur les difficultés qu’il rencontra, étranger à la profession et à la ville, pour parvenir avec son fils Jean-Pierre à racheter la marque, menacée de disparition, lors de sa vente aux enchères en 1980.
Il avait mis toute son énergie et sa pugnacité dans la balance, il lui en fallut autant pour remettre debout un appareil de production disparu : matériel, archives, recettes, etc…, de même que pour retrouver une main d’œuvre qualifiée, sans laquelle on aurait couru à l’échec. Les anciens, Alfred Cru, Javelas, n’étaient plus de ce monde, mais il put compter aussitôt sur Clovis Issartel, l’ancien cuiseur, et sur sa femme Noémi, puis sur Emile Vabre, l’un des piliers de l’ancienne équipe.
Il s’installa sur la nouvelle zone commerciale de Montélimar encore vide, et dans des bâtiments préfabriqués. Mais déjà, il savait que son projet tenait la route, « il avait le flair, l’intuition des bonnes décisions à prendre, le souci de l’excellence des matières premières, et une volonté à renverser les montagnes » rapporte sa petite-fille, Caroline. Et, en effet, l’affaire se remit à flots, grâce notamment au vaste réseau commercial de la maison de vins dont elle profita aussitôt.
Charles Brotte décédé en 1983, c’est son fils Jean-Pierre qui finira par diriger à la fois l’affaire de vin et la fabrique de nougat, après avoir pendant quelques années confié la gestion de celle-ci aux Etablissements Morin et Cie. C’est à lui que l’on doit l’aménagement de la nouvelle fabrique, qui tranche par son aspect volontairement « rétro » sur le reste des enseignes de la zone commerciale.
Avec le nouveau millénaire et l’arrivée de la jeune génération, Arnaud-Soubeyran allait franchir une nouvelle étape. Caroline Brotte avait commencé à travailler dans la maison de vins avant de changer d’orientation professionnelle pendant quelques années, jusqu’à ce que son père Jean-Pierre l’oblige à choisir : soit elle reprenait l’affaire de nougat, soit il mettait celle-ci en vente.
Caroline avait trop d’admiration pour la ténacité avec laquelle son grand-père avait relevé autrefois le défi pour ne pas accepter ce nouveau challenge. Elle déménagea donc à Montélimar avec son mari, Didier Honnoré, et leurs enfants. Tous deux conscients de devoir pérenniser l’excellence acquise par les générations précédentes. « Nous tenons à conserver l’image d’un nougat haut de gamme en privilégiant la qualité plutôt que la quantité » insiste la petite fille de Charles Brotte.
Aujourd’hui, Didier est à la production, secondé maintenant par son fils Quentin, et a largement diversifié sa gamme de produits pour répondre à la demande, saveurs diverses, calissons, pralines caramélisées, chocolats… Caroline est à la commercialisation (confiseries ou salons professionnels jusqu’en Australie et aux Etats-Unis) et à la communication qu’elle soigne particulièrement. Derrière la façade à l’ancienne de la fabrique, on trouve, outre le magasin de vente et la possibilité de voir faire le nougat devant soi, un salon de thé qui collabore avec les cafés littéraires, bientôt un espace de petite restauration originale, enfin un musée qui retrace à la fois l’histoire du nougat et celle de la fabrique Arnaud-Soubeyran. « Il ne manque qu’un sculpteur sur nougat » rêve Caroline...
Amicie d'Arces
Sources : Article d'Amicie d'Arces, paru dans la Revue Drômoise de juin 2014 (n°552)